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Le brochet aquitain, un brochet de l'âge de glace !

Notre planète eau douce abrite huit espèces de brochet dont certaines possèdent des robes extraordinaires pour le plus grand plaisir des pêcheurs. Dans l’esprit des passionnés du bord de l’eau ce poisson est mythique, c’est un symbole qui représente le grand prédateur des eaux douces en haut de la chaîne alimentaire dans ces écosystèmes très riches. Présentation du brochet aquitain.

En France, le brochet est une espèce autochtone bien présente, que ce soit en rivière ou en lac, et qui porte le nom scientifique de Esox lucius. Pendant longtemps nous avons cru l’espèce unique, Esox lucius régnait dans les eaux françaises métropolitaines, mais c’était sans compter sur un irréductible, le brochet aquitain (Esox aquitanicus).

Le monde perdu

En 2014, le scientifique Gaël Denis, responsable ichtyofaune de France Métropolitaine à l’UMS patrimoine naturel, a fait une découverte majeure, l’espèce Esox aquitanicus. Une nouvelle espèce de poisson venait s’ajouter au paysage de l’ichtyofaune hexagonale. Cette espèce est passée inaperçue pendant des décennies aux yeux des pêcheurs et des scientifiques, comment cela est-il possible ? Quelle est son aire de répartition ? Je rassure tout le monde, ce n’est pas une espèce qui a été créée et remise au jour grâce à l’homme comme dans Jurassic Park et ses fantastiques dinosaures ! Ce sont les bouleversements climatiques qui ont isolé cette espèce de brochet. Esox aquitanicus est en quelque sorte un réfugié climatique ! L’ancêtre commun entre le brochet commun (Esox lucius) et le brochet aquitain (Esox aquitanicus) remonte à environ cinq à six millions d’années. Il y a dix mille ans lors de la dernière glaciation, l’ensemble du Nord de l’Europe était sous les glaces, mais dans le Sud-Ouest de l’actuelle France, une région n’était pas emprise aux glaces. De la Charente jusqu’au fleuve Adour, le sol n’était pas gelé, et le brochet aquitain a pu survivre et s’est retrouvé isolé durant des milliers d’années. De nos jours, le brochet aquitain n’est présent que dans quelques départements, la majorité des effectifs connus sont présents dans les Landes et en Gironde avec quelques petites populations dans les Pyrénées-Atlantiques et le Lot-et-Garonne. Ce poisson est donc endémique de l’Aquitaine, c’est-à-dire que c’est une espèce unique au monde qui n’existe que dans cette région. Le brochet aquitain est une espèce patrimoniale de grand intérêt que nous devons préserver, cela passe par la gestion des milieux dans lesquels il vit et se reproduit. La fédération de pêche des Landes a bien compris les enjeux et met en œuvre les moyens nécessaires à la préservation de ce patrimoine naturel vulnérable.

Gaël Denis et Vincent Renard procèdent à des relevés dans le cas d’une étude sur le brochet aquitain.
Crédit photo : Lilian Haristoy

L’étude de l’espèce et la gestion de son habitat

Depuis cette découverte, la fédération de pêche des Landes, sous l’impulsion de son directeur Vincent Renard et des élus qui la dirigent, travaille sur cette espèce de brochet endémique en collaboration avec le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et plus particulièrement le scientifique Gaël Denys. En 2020, le projet Bioesox a vu le jour sous l’impulsion de l’UFBAG et de Gaël Denys afin d’acquérir le maximum de connaissances sur le brochet aquitain. Depuis plus de quinze ans déjà, la fédération de pêche des Landes restaurait, entretenait et préservait les annexes hydrauliques et zones humides dans son département. Chaque année ou presque, des frayères à brochet sont restaurées ou créées dans les Landes afin de maintenir un fonctionnement naturel de la reproduction chez cette espèce. De plus, quand on parle de cette espèce, il est important de souligner le travail de la fédération des chasseurs des Landes qui gère également bon nombre de milieux humides contribuant à la préservation des zones de vie et de reproduction du brochet aquitain. Ces différentes collaborations permettent aujourd’hui de gérer au mieux le territoire et les frayères dans une volonté commune de préserver les zones humides et de développer la biodiversité landaise.

La mise en place de parcours « no-kill brochet » permet aussi de préserver cette espèce
Crédit photo : Lilian Haristoy

Préserver les zones humides

Le brochet est appelé espèce « ombrelle ou parapluie », c’est-à-dire que la préservation de cette espèce sensible par la gestion des milieux permet de gérer indirectement les cycles biologiques d’une très grande quantité d’autres espèces animales inféodées aux zones humides. Lorsque les zones humides sont préservées et gérées pour le développement du brochet aquitain, c’est tout un écosystème qui en profite. Rappelons que les zones humides font partie des écosystèmes les plus riches sur la planète. Dans beaucoup de régions de France, la reproduction du brochet n’est plus possible car les zones humides ou les milieux annexes des cours d’eau n’existent plus, ce qui impacte l’état des populations de brochet mais également la biodiversité générale de ces régions. La fédération de pêche des Landes a bien compris ces enjeux mais intervient également sur l’espèce directement. Les différents axes sont le suivi, la sauvegarde et la valorisation du brochet aquitain. Marion Escarpit, chargée d’étude à la fédération de pêche des Landes, dirige depuis 2019 ses différents axes en relation avec le MNHN et Gaël Denys. Mais une question doit vous brûler les lèvres, comment reconnaît-on un brochet commun d’un brochet aquitain ?

La longueur du museau est un second critère pour repérer le brochet aquitain.
Crédit photo : Lilian Haristoy

Comment le reconnaître

À première vue, il n’est pas évident de différencier les deux espèces, c’est une des raisons pour lesquelles le brochet aquitain est resté dans l’ombre si longtemps. Une autre raison est bien sûr son aire de répartition restreinte. Il y a trois grands critères pour reconnaître un brochet aquitain d’un autre, ce sont la robe du poisson, la taille du maxillaire inférieur et le nombre d’écailles sur la ligne latérale. Bien entendu, les critères les plus simples à déterminer quand on est à la pêche sont la robe et la taille du maxillaire inférieur. La robe du brochet aquitain forme comme des lignes de taches claires, contrairement au brochet commun, qui comportent le plus souvent des points clairs. Le maxillaire inférieur du brochet aquitain est plus petit que l’espacement entre l’œil et l’extrémité de l’opercule. Pour information, le nombre d’écailles sur la ligne latérale du brochet aquitain est de moins de 110 écailles alors que sur Esox lucius, ce nombre et de plus de 120 écailles. Bien sûr, cette donnée sera vérifiée pour des études scientifiques et n’est pas à réaliser au bord de l’eau lors d’une partie de pêche.

Juvénile de brochet aquitain relâché dans une zone humide.
Crédit photo : Lilian Haristoy

La scalimétrie

Grâce aux pêches électriques menées par Marion Escarpit et son équipe, la fédération de pêche peut réaliser des suivis des populations ou réaliser des pêches de sauvetage avant que certaines frayères ne s’assèchent lorsque les beaux jours reviennent. Ces pêches électriques permettent d’étudier l’espèce en prélevant certains sujets juvéniles pour des études scalimétriques et l’étude des otolithes afin de déterminer le taux de croissance des individus. La scalimétrie permet de compter les cernes de croissance sur une écaille de poisson comme les cernes d’une coupe de tronc d’arbre. Les otolithes, qui sont des petits cristaux de carbonates de calcium situés dans l’oreille interne du poisson, sont de véritables « boîtes noires » du poisson qui permettent de lire également les cernes de croissance mais aussi l’évolution de son environnement et de sa santé au cours de sa vie.

La robe du brochet aquitain est le premier critère pour le pêcheur qui veut le différencier.
Crédit photo : Lilian Haristoy

Éviter l’hybridation

Ces prélèvements de poisson permettent aussi de réaliser des études génétiques afin de déterminer de façon sûre si le brochet est un brochet aquitain, un brochet commun ou un hybride. Ces suivis par pêches électriques depuis plusieurs années ont également permis de mettre en évidence certaines populations uniquement constituées de brochet aquitain. L’enjeu pour ces populations est de ne pas être « polluées » par le brochet commun au risque de s’hybrider et de perdre la souche du brochet aquitain. Le travail de veille de la part de la fédération de pêche des Landes sera primordial dans l’avenir si l’espèce brochet aquitain veut survivre à certains déversements de brochets communs. Jérémy Hanin, responsable développement à la fédération de pêche des Landes, travaille dans ce sens en développant également certains parcours no-kill pour le brochet sur des secteurs où le brochet aquitain est dominant, voire l’unique espèce de brochet présente. Vincent Renard est en relation permanente avec la fédération de chasse des Landes afin de gérer au mieux les territoires humides et la gestion hydraulique de milieux propices au brochet aquitain.

Quel avenir pour cette espèce patrimoniale ?

C’est une très grande chance que d’avoir une nouvelle espèce de brochet en France et de pouvoir l’étudier et la préserver. Si le brochet aquitain a survécu jusqu’à nos jours, c’est grâce à la présence de certains milieux naturels préservés qui ont pu conserver leur fonctionnement. Le travail main dans la main entre la fédération de pêche des Landes et de la fédération de chasse des Landes permet de conserver certains milieux humides en bon état et favorise le développement du brochet aquitain. Ce travail sur l’habitat du brochet profite également à un très grand nombre d’espèces de poissons et permet ainsi de limiter le déversement de poissons issus de pisciculture pour la pêche. L’enjeu à venir est de préserver la génétique des populations de brochets aquitains et d’éviter l’hybridation avec Esox lucius. Bien sûr, une espèce endémique quelle qu’elle soit est aujourd’hui souvent vulnérable ou en danger en raison d’un grand nombre de menaces (anthropiques la plupart du temps) qui planent sur elle. Le travail remarquable qui a déjà été entrepris et celui qui va être effectué laisse présager un bel avenir pour ce poisson venu des âges glacés et d’une époque où les mammouths foulaient le sol de notre territoire.

 

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