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Liberté perdue

J'avais des sentiments mitigés et je ne l'avais pas compris. En fait, un voyage hivernal en Espagne avait été l'une des plus belles expériences de pêche à la carpe

Puis, à l'hiver 2018/2019, les choses sont devenues différentes. L'anticipation était assombrie par les doutes. L'intuition ne pilotait plus mon esprit qui s'imaginait alors toute une palette de possibles pour moi. Il m'a vraiment forcé à utiliser les connaissances que j'avais acquises au cours des cinq dernières années cet hiver là, pour arriver à ce qui était bon pour moi. Il y avait surtout cette gigantesque miroir rouge qui montrait son corps massif tous les jours dans mes rêves éveillés et qui alimentait ma mégalomanie. Théoriquement, elle pourrait passer les 40 kg cet hiver, me disais-je sans cesse.

 

Un poisson sauvage, qui ne l'était pas tant que çà, réactif à l’amorçage et dont le territoire pouvait se limiter à quelques centaines d'hectares d'eau sur les 5000 hectares du lac. Ces dernières années, elle n'était pas seulement apparue dans mes rêves éveillés. Au début, je l'ai d’abord vue sur les photos de trois pêcheurs différents. C'était spécial, car les re captures étaient plutôt rares, même si le lac était de plus en plus fréquenté par les pêcheurs de carpes, surtout en fin de semaine et les jours fériés. Pendant ce temps, 300 pêcheurs de carpes pouvaient pêcher dans le lac en même temps, la plupart du temps dans des endroits accessibles en voiture. Cependant, la gigantesque miroir semblait réagir très territorialement et différemment des grandes communes. Au total, j'avais les photos de sept ou huit de ces géantes de plus de 30 kg et il ne devait pas y en avoir beaucoup plus dans ce lac. Pour garder les dimensions à l'esprit, ça fait environ un poisson de 30 kg pour presque mille d'hectares. Je n'avais attrapé aucun de ces gros poissons, principalement d'origine naturelle, au cours des cinq dernières années, alors que si j'y avais cumulé six mois de pêche et capturé quelques dizaines de poisson de 20kg.

Puis, il y a deux ans, en mai 2017, je l’ai vu nager tout près du bord ! Incroyable, cette image ne me quittera plus jamais. Après une semaine de pêche sans touche, j'avais enfin trouvé un grand groupe de gros poissons. C'était peu après le frai. La plupart faisaient entre 15 et 18 kg et je suppose qu’il devait y avoir une centaine de carpes. Je les ai d'abord filmées avec la caméra, puis avec le drone dans une eau cristalline, très près du bord. Tout à l'extérieur de ce groupe, vers la rive la plus escarpée, j'ai observé, à l'ombre d'un chêne vert, une belle commune d’environ 20 kg avec un ourlet blanc à la nageoire caudale. Elle était un peu plus grande que les autres et accrochait littéralement mon regard. C’est à ce moment qu’ELLE est remontée, lentement, partant des profondeurs au bord de la rive escarpée, pour tourner à côté de la commune, où ses grandes écailles sur le flanc gauche ont immédiatement capté mon attention. Elle était beaucoup plus grande et son aura si forte que j'ai immédiatement eu l'impression qu'elle me regardait. Quelques instants plus tard, elle a plongé de nouveau et m'a laissé seul avec des lueurs dans les yeux et un cœur palpitant lourdement dans ma poitrine.

Le changement de poste a été rapide ! Les carpes avaient faim et dans les dix jours qui ont suivi, beaucoup de communes de plus ou moins 18 kg, qui mesuraient presque toutes plus d'un mètre de long, ont atterri dans le filet. Parmi elles, la commune avec l'ourlet blanc sur la nageoire caudale. Il s'est avéré qu'elle était aussi grande sur terre qu'elle le paraissait dans l'eau. Mais aucun signe de la grande miroir, sauf l'avant-dernier jour de pêche. Peu avant mon départ pour la France, j’ai eu l'impression que quelqu'un avait jeté un réfrigérateur dans le lac, sur mon spot...

 

Oui, c'était elle. Qui d'autre ? Je ne connaissais que deux miroirs ici qui pouvaient faire paraître une commune de 20 kg petite à côté. Je les avais peut-être ratées de peu ? Aujourd'hui, je pense qu'après le frai elle s'était brièvement jointe aux autres, qu'elle avait peut-être juste besoin d'un peu de compagnie, puis qu'elle est retournée sur son territoire qui se trouve à trois bons kilomètres de là, avant d’être revenue une semaine plus tard. En tout cas, je ne méritais pas encore de l’attraper. Peut-être que je la voulais trop ? Ou bien est-ce mon subconscient qui ne voulait pas qu'elle soit si facile, pas si rapide et avide. Le fait de l'avoir vue sur 5000 ha d'eau - par hasard - m'a fait quelque chose. Mais je n'ai pas pu concrétiser le désir de tenir ce poisson dans mes mains à ce moment donné.

Comme le lac et ses magnifiques paysages étaient devenus une sorte de maison pour moi ces dernières années et que j'avais noué de nombreuses amitiés, j'apprenais généralement - sans même demander - quand quelque chose de spécial y était pris. Mais je n'ai pas entendu parler de la grande miroir rouge à l'automne 2017. J'ai donc imaginé avoir une petite chance de l'attraper l'hiver suivant. Cependant, elle n'occupait pas encore mon esprit, simplement parce que la zone où elle était habituellement capturée n'était pas assez sauvage à mon goût et que j'aimais moins cette partie resserrée comparativement à bien d'autres du lac.

 

Au début de l’hiver 2017/18, la pêche était généralement un peu compliquée. J'ai attendu six nuits avant de pouvoir attraper la première carpe de l'année, le 6 janvier 2018. Le fait que ce soit une commune de plus de 20 kg me motivait. Mon intuition était bonne. Je ne ressentais pas d’attirance pour le territoire de la grosse miroir, je voulais juste être à la pêche, découvrir de nouveaux endroits par moi-même et installer mon campement où je me sentais le mieux. Néanmoins, je n'ai pas pu résister à l'envie de quand même aller faire un tour en Zodiac sur le territoire de la grande miroir, pour observer, sonder et amorcer un peu. Ce désir imminent d’attraper ce gros poisson contrastait avec mon sentiment de liberté, finalement ressenti après les six nuits capot, au début assez solitaire et lugubre.

 

J'ai beaucoup aimé la pêche hivernale. Et parce que ça marche toujours mieux quand on se sent bien, j'ai commencé à pêcher dans différents endroits et à un moment donné, j'ai même cru comprendre pourquoi cela marchait. Bref, la pêche était au top. Début février j’ai croisé une très vielle miroir. Aujourd'hui, je sais que c'est l'une des carpes les plus importantes de ma vie de pêche. Elle a mordu dans une toute petite baie, dans laquelle j'avais déjà attrapé deux nuits auparavant une magnifique commune de plus de vingt kilos. Ce vieux mâle a été la "cerise sur la glace citronnée" de l'hiver 2017/18. Le soir, en posant les cannes, j'ai spontanément décidé de poser la troisième canne très près du bord. J'écoutais mon frère, qui semblait croire que j'allais attraper mon prochain gros poisson près du bord. Mais je n'ai rien trouvé de spécial avec l'échosondeur et je n'avais aucun sentiment particulier pour cette canne, mais j'étais généralement si satisfait et "Zen" que je m'en fichais honnêtement. Alors j'ai mis la canne pour mon frère, devant mes pieds dans la boue, et j'y ai mis un kilo de bouillettes de 24mm au citron. Rien ne s'est passé dans cette nuit glaciale, mais l'espoir ne m'a pas quitté. A six heures du matin, je me suis faufilé dans les rochers à la lueur rouge de la frontale, pour aller satisfaire un besoin naturel. Je m'allongeai au retour tranquillement sur le bed-chair, refermais le sac de couchage et commençais à m'assoupir, jusqu'à ce qu'un seul bip brise le silence de plomb, puis un deuxième, un troisième. Le swinger semblait danser de haut en bas comme si c’était une brème. J'ai regardé à l'extérieur de la tente et j'ai vu le swinger monter très lentement. J’ai glissé dans les waders néoprène et sauté sur la canne à un mètre seulement de ma tente. J'ai ferré avant même que le poisson n'ait pris un centimètre de ligne du moulinet. Immédiatement, j'ai sauté dans le bateau banane. Mon chien Chico voulait venir avec moi sur l'eau, mais je lui ai ordonné de rester au bord. Il faisait juste un froid glacial et tout le bateau était recouvert d'une épaisse couche de givre. Une danse sauvage a commencé. Le gros poisson collait au fond, nageait encore et encore en cercle et ne quittait pas la petite baie. Dans le crépuscule, j'ai alors vu que tout le corps du poisson était recouvert de grandes écailles. Je l'ai immédiatement estimé à plus de 25 kg. Un rêve s'est réalisé. Je venais d’attraper une carpe royale très vielle et inconnue, qui n'avait probablement jamais été piquée auparavant, de 27 kg pour 110 cm de long. J'étais si heureux et satisfait ! J'ai immédiatement su qu'il serait le point culminant de ma session d'hiver. J'ai écrit à Pedro, qui pêchait à environ un kilomètre de là, parce que je savais qu'il voulait voir ce poisson. La magie était parfaite. Même s'il n'avait jamais pris une photo avec un réflexe auparavant, il a compris mes instructions intuitivement et a pris des photos parfaites. Je le savais, même sans les regarder. Quand il n'arrêtait pas de me montrer l'exposition pendant la séance photo, j'ai dit dans un espagnol simple: "Ce n'est rien, Pedro. Je suis sûr que tu t'en sortiras bien." L’instant était trop beau pour laisser les photos me distraire. Le soir, j'ai plié mes affaires et je suis allé chez le boucher pour rapporter une entrecôte de 750 grammes pour Chico et moi, que j'ai préparée sur le grill.

 

Dans les jours qui ont suivi, ma satisfaction s'est transformée en avidité ; l'avidité d’une session ultime. Tous les deux jours, je suis donc allé sur le territoire de la gigantesque miroir rouge. Une semaine plus tard, je voulais attaquer. Tout semblait convenir : le vent devrait devenir brutalement fort et souffler exactement dans son territoire. Juste à temps avant l'orage et la pluie, le campement a été installé et les cannes étaient parfaitement posées. Mais le sentiment instinctif ne voulait tout simplement pas se manifester. J'ai senti encore et encore que la fully-scaled était le couronnement, le désir d’encore plus, mais surtout l'avidité et la mégalomanie. La tempête m'a ramené les pieds sur la terre. Les vagues d'un mètre de haut transportaient des tonnes d'algues qui collaient aux tresses. Aucun plomb au monde n'aurait pu empêcher la dérive des appâts. Le mouvement de l'eau était si fort qu'il a entraîné des masses d’écrevisses jusqu'au rivage. De nombreuses cigognes s'en nourrissaient. Malheureusement, aucune trace de carpe.

Par cupidité j'avais perdu non seulement la magie, mais aussi une partie de ma liberté. J'étais tellement obsédé par l'idée d’attraper que je ne voulais pas voir la vérité et je m'en fichais. J'avais perdu le respect et la révérence pour ce lac. Et je ne l’avais pas réalisé.

 

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Lacs, Etangs et Gravières

Magazine n°Média Carpe 154 - mars-avril 2020

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