Comment, où et à quel âge as-tu commencé la pêche à la mouche ?
J. M. : Déjà, tout petit sur le plateau d’Aubrac, terre de mes ancêtres, j’étais très attiré par le ruisseau et les « bésals ». Ces petits rus n’étaient pas larges, mais abritaient de nombreuses truites qui étaient pour moi une fascination. J’allais déjà à la pêche très jeune dans les années 1950 lorsque le travail des champs me le permettait. Je pêchais d’abord à la ligne avec des sauterelles ou des mouches bleues. Il y avait très peu de pêcheurs à la ligne dans ces années-là. Les gens du cru, afin d’améliorer leur ordinaire, étaient braconniers. Aussi, j’avais été formé à bonne école ! Ils m’avaient parfaitement appris à placer les araignées, qui étaient de petits filets de 6 à 8 mètres de longs, pour barrer les ruisseaux. J’étais devenu expert en pêche à la main ! Ce qui m’excitait le plus, c’était les « tarides ». Cela consistait à barrer le ruisseau avec des mottes et des pierres dans un endroit bien choisi. Le moment jouissif était, lorsque l’eau venait à manquer, d’entendre les premiers « fla-fla-fla ». J’ai encore ces sons dans ma mémoire comme s’ils étaient palpables. Il y avait tellement de truites en ces temps que trois mois après, il y en avait autant ! C’est à Toulouse, en 1968, par un heureux concours de circonstances, alors que je passais mon premier dan d’aïkido, qu’un homme m’a longuement parlé de la pêche à la mouche. Huit jours après, j’avais ma première canne en bambou refendu avec un moulinet « Martin » et cette pêche ne m’a jamais plus quitté.
Quand et pourquoi as-tu commencé la compétition ?
J. M. : Les hauts plateaux d’Aubrac donnent des gens rudes à l’ouvrage. Ce sont des terres qui formatent des caractères solides. Moi, j’ai été fils unique et mes parents ont pu m’aider à gravir les marches du commerce un peu plus vite. Tant et si bien que fin des années 1980, mon affaire, une grosse brasserie ouverte 365 jours de l’année, 20 heures par jour, avec 34 employés (il y en a eu jusqu’à 40), me submergeait de travail. Pourtant, pour me changer les idées, cela faisait vingt ans que je pêchais à la mouche, quand un client m’a parlé du championnat de France de pêche à la mouche. Renseignements pris, je m’y suis inscrit en 1989…
Quels sont ton palmarès et ton évolution en compétition ?
J. M. : La première année, mes résultats m’ont permis de rejoindre la première division où vaquait l’élite du moment de la pêche à la mouche. Toujours qu’en mouche sèche, pêche que je dominais, je me suis retrouvé à la fin de la troisième saison n° 2 au PSM (qui est l’ATP en tennis). Par la suite, les gens de l’Ain, majoritaires dans ce championnat de France, avaient une avance énorme avec cette nouvelle pêche qu’était la nymphe, pêche que je ne connaissais nullement. Lorsque l’on a une entreprise avec 40 employés, on se doit de faire passer le travail avant la pêche. Aussi, il m’arrivait parfois, entre deux compétitions, de prendre mon gilet là où je l’avais posé la fois d’avant. Pendant une dizaine d’années, j’ai donc fait le yo-yo. Je retombais en deuxième pour remonter en première l’année suivante. Comme il m’était alors impossible moralement de pêcher sans une canne en sèche, je pêchais avec deux cannes et j’ai été le premier à le faire en compétition en 1992. Une en sèche et une en nymphe. Ce qui en a fait rire plus d’un. Mais je devais être avant-gardiste sans le vouloir, puisqu’aujourd’hui, pêcher avec deux cannes en compétition devient légion. À ma retraite en 2008, les entraînements ont été beaucoup plus sérieux et réguliers. J’ai essayé d’aller dans plus de détails, plus de subtilités, que cela soit en rivière ou en réservoir. Il y a deux hommes qui m’y ont bien aidé : l’Espagnol Pablo Castro et le Français Sébastien Delcor, deux très grands de la pêche mondiale. Ils sont restés quelque part mes « mentors » et je ne les remercierais jamais assez de leur gentillesse ! J’ai beaucoup évolué en compétition grâce à eux.
• En sept années de championnat de France vétérans (+ 50 ans), j’ai été quatre fois champion de France et une fois vice-champion. J’ai dû être, je crois, deux fois champion de France 2e division. Vice-champion du monde avec l’équipe vétérans en tant que manager au Portugal.
• Médaille de bronze au championnat du monde vétérans en Espagne en tant que compétiteur.
• Vice-champion d’Europe en tant que manager avec l’équipe de France senior en Italie en 2015.
• Vice-champion du monde en tant que manager avec l’équipe de France senior au Colorado en 2016.
• Champion du monde en tant que manager avec l’équipe de France senior en Slovaquie en 2017. J’ai acquis toutes ces médailles internationales depuis 2015. J’ai arrêté l’international avec l’équipe senior en 2018 de mon propre chef, simplement pour laisser place aux plus jeunes.
Quel sont tes meilleurs et pires souvenirs en compétition ?
J. M. : Mon meilleur souvenir en compétition reste sans aucun doute mes quatre années de management avec l’équipe de France senior. Tout d’abord, pour avoir eu des garçons hors du commun avec une classe de pêche incroyable. J’ai vécu des années exceptionnelles d’amitiés, de partage, avec une cohésion sans faille. C’est une chance énorme d’avoir pu, à l’automne bien avancé de ma vie, connaître de pareilles aventures. Dans le négatif, une m’a marqué dans le très mauvais sens du terme. Il s’agit du championnat du monde vétérans en Espagne, où j’étais compétiteur en 2018. Nous pêchions le rio Piloña dans les Asturies sur deux jours de compétition avec deux manches par jour. Je connaissais le rio pour l’avoir pêché quelques fois en loisir et je savais qu’il y avait des lots bien meilleurs que d’autres. Le sort a voulu que je commence par le secteur 3 (il y en avait 4). Le matin de la compétition, nous voilà partis pour ce secteur 3. Nous étions neuf compétiteurs de nations différentes. L’enveloppe des parcours se décachette dans le car et les lots sont annoncés. Lorsque le responsable annonce le parcours 7, je n’avais plus un poil de sec ! « Nouvelle-Zélande », qu’il dit. Olé ! Je suis dans les deux bons… Puis nous arrivons au lot n°8 et il annonce « France ». Alors je ne bouge pas et je dis en espagnol au responsable : « Ce n’est pas mon lot. Le 8 est en face de l’hôtel la Roca, ceci n’est pas le 8. » J’ai senti que j’avais mis un pavé dans la mare, ils ne se doutaient pas que je connaissais le coin. J’insiste : « Non, ce n’est pas mon lot. J’étais à la réunion des capitaines, j’ai tiré le secteur 3 et vous venez de me dire d’après l’enveloppe décachetée “France lot 8”. Ce n’est pas le mien. » Et alors là, d’une voix embarrassée, le responsable me balbutie que ce matin, les contrôleurs se sont trompés de car et que, de ce fait, je faisais le secteur 4. Chose impensable dans un championnat du monde, tirer un secteur 3 et se retrouver sur un secteur 4, parce que les contrôleurs se seraient trompés de car… Ça sentait l’arnaque… La mort dans l’âme, je me suis retrouvé avec un lot plus que moyen et comme un malheur n’arrive jamais seul, le Néo-Zélandais du lot 7 avait pêché la moitié de mon parcours. La moralité de l’histoire, je finis cette première manche en milieu de tableau et le lot du soir, qui ne devait pas être mien, a été le plus pourri du secteur. J’y ai fait « capot »… Il s’est fait d’ailleurs quatre capot sur quatre pêcheurs sur ce lot. En revanche, les lots que je devais avoir ont cartonné. J’avais espéré avoir un mot d’excuse du président espagnol organisateur du mondial. Il n’en a rien été et c’est passé complètement sous silence…
Quel sont tes meilleurs et pries souvenirs hors compétition ?
J. M. : Je n’ai jamais eu de très mauvais souvenir en loisir. Je pourrais dire toutefois qu’une fois j’avais fait 180 km pour aller à la pêche seul et j’avais complètement oublié de mettre les cannes et le wader dans la bagnole… Je me suis gratifié d’adjectifs complètement hors dictionnaire ! Quant aux meilleurs, j’en ai eu beaucoup en loisirs. Mais il ne m’en vient pas un qui ait surpassé les autres.
Quelle est ta technique préférée et pourquoi ?
J. M. : Alors, étant donné mon âge, je perds forcément du temps par rapport aux jeunes. Pour changer de mouches, de bas de ligne, me déplacer dans la rivière, mettre le poisson à l’épuisette, il me faut plus de temps. La pêche qui me fait perdre le moins de temps est le tandem (sèche nymphe). Depuis bientôt trois ans à l’entraînement, je ne pêche vraiment qu’à cela. J’ai beaucoup évolué dans cette pêche et j’en ai trouvé maintes subtilités. Je vais très vite aussi à la frisque (type de pêche en nymphe plaquée), une pêche que j’ai mise au point et qui est très efficace, mais il faut que le profil de la rivière s’y prête. Avec ces deux pêches, je peux, malgré l’âge, faire quelques différences. Elles sont devenues mes préférées, avec la sèche bien entendue.
Quel est ton coin de pêche préféré en France et à l'étranger ?
J. M. : J’ai pas mal voyagé autour du monde à la pêche. J’ai beaucoup aimé, entre autres, la Patagonie et la Nouvelle-Zélande… Je connais beaucoup l’Espagne, j’aime beaucoup ce pays et je m’y sens très à l’aise. J’y connais beaucoup de monde dans le monde de la pêche et je crois que c’est dans ce pays que je prends le plus de plaisir à pêcher. En France, j’aime beaucoup les rivières pyrénéennes, comme le Vicdessos, les rivières des Alpes avec le Drac et l’Ubaye, les rivières du Briançonnais et tant d’autres
Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
J. M. : À 76 ans, le long terme on n’y pense plus, le moyen terme devient hasardeux, reste le temps présent et je vis ce dernier avec un bonheur comme je n’ai jamais eu l’occasion de le vivre ! Mon défi, aujourd’hui, reste de pouvoir encore me maintenir en première division rivière et en première division réservoir l’année prochaine, ce qui n’est pas rien ! Bien entendu, loin de moi maintenant l’ambition de battre ces extraordinaires garçons qui nous font rêver en international. Car ils sont tout simplement époustouflants ! Les gens sans passion sont des morts en instance. Il faut comprendre qu’il y a des âges ou dire j’arrête, c’est finir. Moi, il n’en est aucunement question, et autant que faire se peut, je resterai aussi longtemps que possible le doyen de nos compétitions à haut niveau…