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Popper en hiver, une gageure ?

Crédit photo David Gauduchon
Les pêcheurs de carnassiers que nous sommes sont bien souvent pris au piège de leurs habitudes, voire de leurs certitudes communément partagées, au risque parfois de multiplier les sorties sans succès. Au streamer comme pour toute autre technique, il est parfois bon de prendre le risque de sortir des sentiers battus, de se renouveler dans son approche, fut-elle iconoclaste de prime abord. Popper et slider en période hivernale, y avez-vous déjà songé ?

« Pop in the fog » ! Non ce n’est pas le titre d’un polar, plutôt l’histoire d’une sortie récente au brochet avec mon ami Éric, qui est parmi les guides de pêche les plus rock’n’roll que je connaisse. Laissez-moi vous la raconter. « Heureux sont les fêlés car ils laisseront passer la lumière… » La lumière, nous en avons bien besoin ce matin-là. Nous avons rendez-vous au bord d’un lac breton pour une sortie « brochet à la mouche en kayak ». Ce projet longuement mûri et tant attendu est quelque peu contrarié. Un brouillard à couper au couteau ne nous laisse pas entrevoir la plage de mise à l’eau où nous avons nos habitudes. La météo avait bien annoncé une baisse des températures – quoi de plus normal en cette fin d’année ? – mais pas cette humidité qui ne tarde pas à nous tomber dessus. Température extérieure : 4 °C, celle de l’eau ne dépasse pas les 6 °C. Va falloir mettre des couches même si le kayak à pales, c’est plutôt sympa pour se réchauffer ! « Bon, on y va où on attend que ça se lève ? » « Ben j’ai l’impression qu’on va attendre longtemps », me rétorque Éric, qui est déjà en train d’endosser ses waders. 

Un froid à ne pas mettre un kayak dehors, et pourtant…
Crédit photo : David Gauduchon

Purée de pois 

Je prépare deux cannes, une en soie intermédiaire, l’autre en S3, tout en prenant soin d’embarquer dans mon sac d’autres densités. Quelque chose me dit que si les brochets n’ont pas le bec cloué, il y a fort à parier qu’on les trouvera au plus creux de leur tenue habituelle en cette saison : rupture de pente, fosse… Grand streamer et animations lentes, un classique du genre qui n’est pas pour autant des plus passionnants, il faut bien l’avouer. Au-delà de 3 m de profondeur, a pêche à la mouche devient un exercice de patience où il faut faire preuve d’un sacré sens de la projection et d’un mental bien forgé. Mais c’est à cette période que l’on peut espérer toucher un tout gros, le nombre de touches étant bien souvent inversement proportionnel à la taille. C’est parti pour une session qui se promet délicate, d’autant que l’on voit à peine le bout de nos kayaks. Intuitivement, nous nous dirigeons vers l’est du lac, un secteur qui a été plutôt régulier durant l’été indien que nous avons connu : des pentes douces comprises entre 1 et 2 m, puis une légère dépression qui invite à prospecter jusqu’à 4,5 m. Malgré le manque de visibilité, le long herbier qui tenait les alevins de l’année, notamment un frai de perche étonnant, a disparu de la surface lisse. Pas même une légère brise ne vient l’animer. 

Éric, aux prises avec son premier brochet d’hiver au popper.
Crédit photo : David Gauduchon

En combiné 

Avec Éric nous décidons de descendre progressivement la pente, parsemée de racines d’aulne, lui en soie intermédiaire, moi en S3 afin de jouer sur deux types de présentation, tout en progressant parallèlement à la berge puis en nous en écartant progressivement. Quadriller la zone, à différentes hauteurs d’eau, en essayant des modèles et des coloris de streamers différents, en recherchant la bonne animation, autant multiplier les chances par deux. Mais après une bonne heure de pêche, sans le moindre coup de nez, le mystère reste entier, comme le brouillard. Certes, dans une telle situation, on peut se contenter de peigner ainsi jusqu’à espérer se trouver en phase avec un pic d’activité, aussi court soit-il, comme c’est souvent le cas à cette saison. Mais plus les indices sont maigres, plus les interrogations s’accumulent. Seule information validée : les herbiers sur le fond n’ont pas disparu, comme l’atteste la salade que je remorque après avoir testé une soie plus dense et un streamer de 25 cm, vert et orangé aux reflets or, dans l’idée d’imiter une grosse perche trop sûre d’elle ou un brochet inconscient. J’en fais part à mon équipier que j’ai perdu de vue. Il faut dire qu’il n’est pas né avec ma patience. 

Dans un premier temps, c’est en faisant glisser le popper à la surface, en ménageant de jolies pauses que les brochets réagissaient.
Crédit photo : David Gauduchon

Premier indice 

Soudain, j’entends une voix qui s’élève. « David, remonte, je suis attelé sur un beau brochet ! » Éric m’attend avec le poisson dans l’épuisette, un 80 tout rond et bien gras avec, dans la commissure, un popper rose fluo. Poisson d’avril ? Ce n’est pas de saison ! Mais à sa tête, je comprends que mon lascar ne m’a pas fait un tour de malice dont il est coutumier. L’intensité de son récit finit par me convaincre : « Ras le bol de cette pêche lente ! Je ne sais pas ce qui m’a pris de mettre un popper, l’envie de retrouver des sensations visuelles. Plutôt que de popper bruyamment, je me suis contenté de le faire glisser, créant ainsi une turbulence dans son sillage. Il est venu voir une première fois, s’est retourné dessus à blanc. J’ai relancé au même endroit, sans animer mon popper. Juste un ploc suivi de trois-quatre secondes d’immobilisation. À l’animation, il l’a engouffré. » Sur ce poste, 1,5 m d’eau tout au plus, des frondaisons, quelques branches mortes immergées et un fond tapissé de callitriche. Son beau brochet remis à l’eau, Éric ne demande pas son reste et repart à la charge, tout feu tout flamme, en se décalant d’une dizaine de mètres. Quelque peu incrédule, je me suis réchauffé à pédaler comme un beau diable pour prendre la photo. 

À mon tour de piquer un premier brochet correct.
Crédit photo : David Gauduchon

Attaques de surface 

Brochet isolé à tendance suicidaire ? Coup de chance ou de génie de mon pote guide ? Avec lui, il est vrai que tout est possible. Son côté rebelle l’amène bien souvent à prendre des chemins de traverse. Disons que le doute est permis ! Je décide de passer en soie intermédiaire en optant pour un steamer blanc, vague imitation d’un gardon d’une quinzaine de centimètres. Avec mon kayak, je me rapproche silencieusement de la bordure, une vingtaine de mètres, afin de prospecter la partie supérieure de la pente. Lorsqu’à mi-parcours, je relève ma canne pensant avoir frôlé un résidu d’herbier, mon stream n’est pas resté trois secondes sous la surface qu’il est attaqué par un joli brochet qui sort intégralement de l’eau. Pas le temps d’abaisser ma canne, ferrage approximatif, dépiqué. J’en reste bouche bée. Pas le temps de m’appesantir sur mon sort que j’entends Éric s’exclamer : « David ! Suis à nouveau pendu ! Passe en surface. Ils sont dans un mètre d’eau. N’anime pas bruyamment, fait juste glisser ton pop en marquant des temps de pause assez longs ! » Message reçu, d’autant que mon expérience récente m’a convaincu qu’il se passait bien quelque chose en surface. Mais diable, pourquoi ses satanés brochets ont-ils un tel comportement ? 

Sur les bordures, dans peu d’eau, une drôle de tenue pour ces brochets.
Crédit photo : David Gauduchon

Festival d’attaques 

Changement de combo : soie flottante, popper en foam, coloris vert agrémenté de longs saddles hackles grizzlis, j’ai du mal à penser qu’un brochet, même bienveillant, va prendre cette imitation pour une « grenouille congelée » ! Éric a déjà remis trois brochets à l’eau pour le double d’attaques. Il est vrai que le brochet n’est pas non plus le roi de la frappe chirurgicale. Soudain, une vague derrière mon popper, c’est à mon tour de réagir à une attaque en règle : le brochet sort intégralement de l’eau, rate à sa cible. À sa seconde tentative, j’envoie un ferrage main gauche canne basse dans l’axe. Un joli 80 cm après m‘avoir gratifié d’une belle chandelle se retrouve dans l’épuisette où le popper se décroche. Scénario parfait ! De commun accord avec Éric, nous sauterons la pause déjeuner. Il est bien question de profiter pleinement de ce pic d’activité en surface. Les attaques, les montées courtes, les décrochés, les ferrages dans le vide se succèdent. Autant se régaler. Chaque chose en son temps ! Nous analyserons ce qui nous arrive plus tard. 

À la faveur d’une fenêtre météo différente, une animation plus virulente a permis à Éric de retrouver le succès.
Crédit photo : David Gauduchon

La brise se lève 

Coutumier de ces épisodes hivernaux où le brochet se montre actif dans la couche d’eau supérieure, une chose m’étonne néanmoins : la quasi-absence d’animation. L’impact du popper sur l’eau, une légère tirée, c’est à la reprise d’un stop prolongé que nous enregistrons la plupart des attaques, voire à l’arrêt total. En début d’après-midi, une légère brise de nord-ouest ride la surface de l’eau. Vent dans le dos, je stabilise la dérive de mon kayak grâce à sa marche arrière et son gouvernail, une bête de pêche soit-dit en passant, qui m’autorise de belles dérives maîtrisées. Curieusement, l’activité des carnassiers semble avoir baissé alors que le brouillard matinal s’est un peu dissipé. L’air ambiant a pris 2 °C. On s’attendrait presque à voir le soleil percer. Éric fait une belle perche qui frôle les 40 cm. Puis plus rien pendant une heure. Le doute s’empare de nous d’autant qu’une chasse, non loin de la bordure, trahit bien la présence de notre prédateur. Un paramètre semble avoir changé ! Il nous échappe, s’attachant à répéter l’animation qui a si bien fonctionné le matin. Je change de modèle de coloris, de taille, rien n’y fait. La patience légendaire de mon ami Éric semble avoir atteint ses limites. Je l’entends bouillonner sur son kayak. Montée en pression, l’explosion n’est pas loin ! 

Rosie le popper a encore frappé.
Crédit photo : David Gauduchon

Ploc, ploc 

« Ploc, splash, ploc, splash », mon guide breton a pété un plomb. Voilà qu’il anime son popper comme un furieux, le faisant gicler avec sonorité sur 2 ou 3 m. Je n’ai pas le temps de le chambrer qu’un brochet énervé saute sur son leurre et lui arrache un bon mètre de soie. Surprise, perte de contrôle, tentative de récupérations, marche arrière… La canne retrouve sa courbure. Le popper a été littéralement avalé, autant dire qu’Éric ne risquait pas de le perdre. Tout ce raffut valait bien un beau poisson, surtout une nouvelle piste de réflexion qui s’amorce… Et si les carnassiers, avec la brise installée, avait changé de comportement, tout du moins étaient réceptifs à d’autres stimuli ? Action, réaction. Nous voilà en train de popper de concert en direction de la berge, à 15 m d’intervalle, en marquant une pause toutes les deux ou trois tractions sur la soie. À 15 m de la berge, au niveau du bas de la pente présumée, un gros bouillon se forme derrière mon popper. Je n’en crois pas mes yeux ! J’ai bien vu une fusée monter et se retourner à la vitesse d’un éclair. Le temps de reprendre mes esprits, j’exerce une nouvelle traction sur ma soie. Ploc, plouf, boom… Le brochet était resté en station derrière, il a de nouveau surgi. Tout en l’épuisant, je me retourne, interpellé par les cris d’Éric : « C’est un gros, c’est un gros… » Le temps de relâcher mon brochet plus modeste (75 cm) et d’arriver jusqu’à lui en pédalant, appareil photo sorti, c’est le drame. La canne, à moitié immergée, se détend subitement. Curieusement, Éric reste calme, un brin dépité. « C’est de ma faute, je n’ai pas été assez ferme sur le ferrage, j’ai été surpris… » Gros ou petits, il est vrai que nous en aurons décroché depuis ce matin des brochets malgré notre hameçon 6/0, articulé et décalé vers l’arrière du montage. Le ratio aura été le suivant : un poisson pris pour trois ou quatre attaques. C’est le lot des pêches de surface, quelle que soit la saison. 

Les perches se sont également rappelées à notre bon souvenir.
Crédit photo : David Gauduchon

Épilogue 

Derrière ce récit d’une sortie peu ordinaire, je vous l’accorde, quel enseignement faut-il retenir ? Le premier, c’est que quand une technique ne fonctionne pas, il faut en changer. À la pêche, rien n’est jamais écrit. Toutes les certitudes, toutes les théories sont faites pour voler en éclats. Interrogez votre entourage sur les techniques de surface : 95 % des réponses évoqueront une pêche d’été ! Certes, animer un popper ou un slider dans les trouées de nénuphars peut rapporter son lot d’émotions. Mais cantonner cette approche à la seule période estivale est à mon sens une erreur. La fin du printemps quand les grosses femelles brochet n’ont pas encore quitté les bordures, l’automne quand les bancs de fourrage se regroupent dans les baies peu profondes et l’hiver… À l’hiver, il faut oser et pourtant! Dans le cas de cette session narrée plus haut, rien ne laissait à penser que les conditions se prêteraient à une quelconque pêche de surface. S’entêter pourtant dans une pêche au steamer classique aurait été une erreur. Jusqu’à présent, à la pêche, ce sont encore les poissons qui décident. Rétrospectivement, les brochets se tenaient donc, malgré une eau relativement froide, 7 à 8 °C, sur des pentes douces, entre 1,5 et 2,5 m d’eau environ. Les herbiers encore présents sur le fond leur assuraient le gîte, la présence de bancs de perchettes de l’année, suspendues dans la couche d’eau, le couvert. Pleine lune, arrivée d’un front froid le lendemain… on pourrait encore avancer bien des tentatives d’analyses face à un tel comportement défiant « notre » logique anthropomorphique. Force est de constater que l’histoire se répète au gré des expériences et des témoignages.

La canne doit posséder une bonne réserve de puissance sans pour autant avoir une action de pointe trop marquée, à mon goût! Une mouche de surface présente plus de prise au vent et moins d’inertie qu’un streamer classique. Une canne un peu progressive permet de mieux armer le lancer arrière, donc de limiter le nombre de faux lancers. Du bord, une 9’ 9” offre un bon bras de levier. Embarqué, en float-tube ou en kayak, une canne un peu plus courte, 8’ 6” par exemple, est mieux adaptée. La soie flottante doit bien entendu être à fuseau décalé vers l’avant : WF ou de type bug tape.
Crédit photo : David Gauduchon

Mon ami Éric m’a souvent fait part de ses pêches d’étang, en surface, alors qu’il remontait des bordures en wading. Des temps de pêche souvent courts, au gré d’une éclaircie, d’une remontée des températures, et bien d’autres infimes paramètres que l’on soupçonne faute de les maîtriser. Je prends encore pour exemple ce tournage sur la pêche du brochet à la mouche auquel je participais, en décembre dernier, et qui était bien mal engagé… On a dû notre salut à une pêche au popper dans un mètre d’eau, à la tombée de la nuit. Qui aurait parié sur un tel dénouement ? Je pourrais encore vous remémorer cette journée froide (je n’ai pas dit glaciale !) de janvier où la glace recouvrait partiellement un étang. Pas de vent, un grand soleil, et ce sont les perches qui, ce jour-là, avaient décidé de refaire surface ! Une chose est sûre, en France tout du moins, la culture de la pêche en surface du brochet et de bien d’autres carnassiers a encore du chemin à faire… dans nos têtes. À commencer par la mienne, même si la soie flottante équipée d’un Ofni (objet flottant non identifié) arme systématiquement l’une de mes cannes lors d’une sortie. Réchauffement climatique oblige, les épisodes doux sont de plus en plus récurrents, et ce jusqu’à la fermeture. Il est clair que toute la chaîne alimentaire et ses rythmes s’en trouvent modifiés. Qu’un poste prometteur me déçoive ou qu’un autre instinctivement m’interpelle, j’ai pris l’habitude de ne pas les quitter sans avoir fait « plof plof ». La plus grande des subtilités, à mon sens, ne tient pas tant dans le modèle ou le coloris que dans la taille. Elle réside aussi (et surtout) dans le rythme de l’animation qu’il faut accorder avec l’humeur des brochets. Quant à la sonorité, si notre prédateur, si imprévisible, se montre parfois rock’n’roll, il semble apprécier le plus souvent un enchaînement de doux accords marqués par des temps de pause plus ou moins longs et répétés.

Poppers et sliders

S’il existe une quantité innombrable de créations et d’imitations de toute sorte, je me limite à quelques modèles, sélectionnés pour leur capacité à se lancer facilement, leur qualité de flottaison et de nage, leur sonorité, leur capacité à pousser de l’eau ou non. Un leurre flottant type « slider » n’est pas ignoré, loin s’en faut. Certaines fois, le bruit du popper peut intriguer le brochet qui n’en saisira pas, d’autre fois il pourra même l’effrayer. Un « slider » (qui glisse sur l’eau et dans la pellicule) peut s’avérer un bon joker !

Concernant la taille du popper, attention à ne pas choisir de modèles trop volumineux difficiles à lancer : 10-15 cm maximum. Souvenez-vous que ce ne sont pas nécessairement les grosses têtes qui dégagent nécessairement une sonorité adaptée. Pour le brochet, j’aime particulièrement un modèle équipé d’une queue assez longue (plumes, poils creux de cervidé ou fibres synthétiques) qui offre une nage ondoyante et stabilise bien l’ensemble.

Famille des poppers.
Crédit photo : David Gauduchon

Famille des sliders.
Crédit photo : David Gauduchon

Famille des Ofni.
Crédit photo : David Gauduchon

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