Avant ce séjour, mes amis guides locaux m’ont prévenu, cela va être difficile, il ne faut pas craindre le froid, la neige, le vent et la bredouille ! Pour notre première journée, nous commençons par la société de pêche de Mozirje qui gère la partie médiane de la Savinja. Nous rencontrons notre guide Mirko Skafar un compétiteur reconnu au niveau international, un très bon monteur de mouches, et de cannes, qu’il vend sur son site internet. Il faut savoir que les premières lueurs du jour comme les dernières sont les moments les plus importants de la journée pour un pêcheur de huchon. Je pense que la majorité des captures se font dans ces quelques minutes entre chiens et loups…
Gros remous en surface
Mirko m’a donné une de ses mouches, un tube fly blanc en synthétique très facile à lancer malgré ses trente centimètres. Je n’ai fait qu’une dizaine de lancers lorsque je vois plusieurs gros remous sur la rive d’en face ! Il s’agit sans nul doute d’une chasse. Je commence donc à rentrer dans l’eau jusqu’à la poitrine pour m’avancer suffisamment. Alors que je suis presque au centre de la rivière, j’aperçois un gros salmonidé, autour du mètre, avancer droit sur moi ! Il s’arrête à deux mètres de mes chaussures. J’ai alors le réflexe de lancer dans sa direction. La mouche se pose au ras de la berge et commence à dériver. Je strippe deux fois et immédiatement la soie se tend. Je ferre machinalement et vois un magnifique huchon monter en surface ! Il s’agit de la grosse bête venue renifler mon waders. Il fait deux gros remous et plus rien ! Il ne s’est pas correctement piqué… Malheureusement ! Je suis dégoûté mais je débute à peine le séjour. Finalement, peut être que mes amis avaient un peu exagéré la difficulté de cette traque… En fin d’après-midi, alors que nous prospectons l’aval de la confluence de la Dreta avec la Savinja j’aperçois une souche posée entre deux rochers. La lumière est rasante et je dois vraiment faire la mise au point pour voir qu’il s’agit en fait d’un joli huchon. Je lui passe plusieurs fois mon streamer au ras des moustaches avant qu’il ne se déplace nonchalamment vers les profondeurs…
Un gros tube fly blanc...
Le lendemain, nous partons un peu plus en aval de la Savinja sur la société de Sempeter qui gère de nombreux kilomètres de rivière. Nous sommes accueillis au magnifique restaurant de l’association par Bostjan, ancien président de Sempeter et passionné par la traque du huchon. La rivière s’élargit vraiment ici et nous commençons par une vaste gravière où Bostjan m’explique que les grands prédateurs viennent chasser les poissons fourrages. Nous continuons avec nos larges tubes fly blancs qui semblent être LA mouche à avoir ! En fin de pool, et après nombre de dérives, je ferre un poisson mais cela ne tire pas beaucoup sur ma canne de 10… Je viens de grappiner un gros hotu ! Le cours d’eau, à cet endroit, en est tapissé, une aubaine pour les huchons. Nous nous déplaçons, de postes en postes, tous plus prometteurs les uns que les autres, mais rien ne se passe ! Nous arrivons alors sur un léger coude de la rivière, Bostjan me dit que, dans ce trou, plus de vingt huchons différents ont déjà été capturés… La tension monte d’un cran, il faut se concentrer car ici les chances sont grandes ! Malheureusement, le roi des rivières slovènes nous boude… Nous retrouvons ensuite Rok, un membre de l’association qui nous guide pour l’après-midi. Nous bougeons beaucoup pour optimiser le temps. Nous finissons aux pieds d’un barrage que je traverse pour atteindre le courant principal et peigner les eaux bouillonnantes. Mon gros streamer blanc passe entre les blocs rocheux, lorsqu’un huchon surgit et l’attaque dans un gros remou en surface. Je tire sur ma ligne le plus fort possible et, une fois de plus, tout se détend, le poisson ne s’est pas piqué !
Casser la glace dans les anneaux
Changement de décor pour le lendemain, nous rejoignons la belle ville de Bled et Matej notre guide et propriétaire du flyshop "Fauna Bled". Nous allons découvrir la fameuse et splendide sur la partie du club de Bled. Matej ne rigole pas sur les horaires et nous donne rendez-vous à 6 heures sachant que le jour se lève vers 7 heures… Toujours les fameuses premières et dernières minutes de pêche ! En journée les chances de capture sont minces, surtout si l’on a une météo au beau fixe comme lors de notre semaine… Il fait aux alentours de moins dix degrés et nous voilà à pied d’œuvre à casser la glace dans les anneaux tous les trois lancers ! La Sava Bohinjka est réputée pour la taille incroyable de ses huchons avec des monstres de plus d’un mètre trente parfois ! Matej me place dans un goulet assez étroit et profond d’au moins trois mètres mais l’eau est tellement cristalline que, même dans la pénombre, je vois le fond. Il m’explique en détail la technique pour ce cours d’eau qui subit une pression de pêche nettement plus forte que sur la Savinja. Ici, il faut faire dériver son streamer de façon inerte, puis attendre quelques secondes en aval avant de relancer. Nous allons à nouveau nous déplacer beaucoup, pour tenter les meilleurs spots que Matej connaît par cœur. Sur un pool magnifique, nous allons d’ailleurs voir deux gros saumons du Danube dépassant allègrement la barre du mètre mais se trouvant hors de portée de lancer au fouet. Le spectacle de ces titans de rivière, dans cette eau d’une clarté exceptionnelle, est juste fabuleux. Matej nous amène ensuite dans les gorges de la Sava. Le lieu est grandiose, la rivière se fraie un passage entre d’énormes mégalithes coiffés de neige, mais, comme souvent, rien ne se passe… Nous retournons, au coup du soir, dans le pool où nous avions vu les deux Léviathans. La tombée de la nuit peut les inciter à chasser et à bouger, troisième jour de bredouille…
Juste devant un rocher
La cuisine est bonne, en Slovénie, et cela nous permet de garder le moral ! Le jour suivant nous sommes sur la Sava Bohinjka en amont de Bled, une partie gérée par l’Institut de la pêche slovène. Étant un des meilleurs secteurs, il est très fréquenté et les principaux pools sont pêchés quasi quotidiennement. Nous descendons le cours d’eau, dans un paysage hivernal de carte postale. Vers midi, sous un beau soleil, nous remontons vers un pont que nous avait indiqué le garde. Sur le lisse peu profond, il y a des dizaines de truites qui bronzent, profitant des heures les plus chaudes de la journée. Je n’en avais pas vu une seule le matin ! Jean-Paul rentre en premier dans l’eau alors que je vais un peu plus haut et aperçois nettement un huchon placé juste devant son rocher. Le problème est que je suis obligé de m’avancer pour lancer. Je décide de changer de moulinet et passe sur une soie flottante avec juste une petite tête plongeante type six. Le courant est faible, la profondeur n’excède pas deux mètres et je choisis aussi de mettre une autre mouche. J’ai une imitation assez réaliste de petite truite arc-en-ciel d’une bonne quinzaine de centimètres, pourquoi pas après tout ! Ce nouvel ensemble plus léger me permet d’atteindre l’autre rive en roulé. Je ne vois plus le gros salmonidé repéré mais allonge progressivement la soie. Au moment où mon streamer passe au milieu du pool, j’ai une forte tirée et plus rien ! J’ai encore ferré dans le vide, je suis dégoûté… La lumière déclinant, je décide de revenir sur le poste où j’ai eu la touche. Je fais, à quelques centimètres près, la même dérive qu’il y a trois heures. J’ai une nouvelle attaque ! Cette fois, le poisson est piqué et je mets la pression pour l’écarter des rochers. Heureusement, j’ai amené une grande épuisette car je suis seul et j’avoue transpirer un peu lorsque le huchon commence à se tortiller dans tous les sens en surface. Je fonce dessus et réussis à le mettre au fond du filet ! La tension tombe et j’admire un joli poisson d’environ quatre-vingts centimètres, ce qui reste modeste pour l’espèce. Mais quel soulagement d’en tenir enfin un dans les mains ! Lorsque je le prends dans l’épuisette, il se décroche ! Il s’en est fallu de peu, encore une fois ! J’ai un pressentiment il faut faire encore quelques lancers ici avant la fin de l’heure légale de pêche.
Il roule en surface et se décroche
Je redescends de quelques pas et recommence mes roulés avec mon imitation de petite arc-en-ciel. Alors que je strippe lentement, la soie se tend à nouveau et je ferre énergiquement. Un monstrueux remous se forme en surface. Jean-Paul, qui est en hauteur sur la berge, me crie : « il est énorme » ! Je tire sur ma soie et fais monter effectivement un des plus gros salmonidés que je n’ai jamais vus. Ce huchon dépasse allégrement le mètre et il se met à rouler sur lui-même. Je suis bien tendu mais ne sais trop quoi faire. Il n’est qu’à une dizaine de mètres de moi et ne démarre pas. Tout à coup, la soie se détend, c’est fini l’animal a réussi à se décrocher… ! Des amis guides me diront plus tard que, dans ce cas, il faut tirer comme un ours sur la ligne pour tracter le gros salmonidé et le forcer à se battre vraiment. Bon, j’ai failli faire deux magnifiques poissons en cinq lancers, dont un véritable trophée, alors que lors des cinq cents lancers précédents, je n’ai pas eu une touche !
Touche au premier passage
Pour cette fin de séjour, je retrouve mon ami et guide Luka Lukman que je connais depuis une dizaine d’années. Luka est un super professionnel, pas de doute que toutes les chances sont de notre côté. Nous partons pour la Sava Dolinka et le parcours de la Société de pêche de Jesenice. Luka, qui est membre entre autres de ce club, le connaît sur le bout des doigts. La rivière n’est pas très large mais beaucoup plus puissante que la Sava Bohinjka. La vallée est magnifique et le cours d’eau peu pêché par rapport à sa fameuse voisine. Les coups se prêtent parfaitement à la technique du streamer mais le courant est vraiment très fort et même les nombreux mendings que nous faisons ne font pas descendre suffisamment nos artificielles ! La lumière est surréaliste sur ce parcours très sauvage, nous en prenons plein les yeux mais ne voyons pas de poisson. Nous allons continuer sur cette belle rivière, prospectant des virages prometteurs et de splendides pools, sans résultat… Nous sommes philosophes et commençons à nous faire aux contraintes de cette pêche ! Pour notre dernier jour, Luka nous a réservé la carte sur le bas de la Sora et la grande Sava gérée par la Société de pêche de Medvode. Nous commençons par cette dernière, qui est immense et impressionne ! Il est certain qu’elle se prête plus à la pêche au lancer qu’au fouet mais Luka, nous amène sur des secteurs de gravières parfaitement adaptés à la mouche. Des monstres de plus de trente kilos hantent cette rivière. Nous devons lancer loin, pour peigner efficacement les vastes courants et cela avec de l’eau à la taille. Après deux secteurs improductifs, Luka décide de partir sur le bas de la Sora géré par ce même club de Medvode. Il a choisi deux pools où il a déjà pris plusieurs huchons. Il m’a bien expliqué comment aborder mon secteur et je décide de lancer plein amont, pour laisser la ligne descendre franchement avant de stripper. Au premier passage, j’ai une attaque ! J’utilise un streamer blanc que j’ai monté en tandem. Le poisson est bien piqué et je tiens mon second huchon de la semaine ! C’est un « petit « d’environ soixante-dix centimètres, mais quel plaisir de l’admirer ! Cette espèce est vraiment superbe, fuselée, à la robe tirant sur le bordeaux et constellée de points noirs. Chaque capture à la mouche est une consécration, Luka le sait très bien et me félicite chaleureusement.
Le museau collé au streamer
Sur un autre spot Luka s’immobilise tout à coup et nous appelle. Au milieu d’un lisse, juste devant un gros caillou, sont postés deux saumons du Danube. L’un fait largement plus d’un mètre. Le matériel est vérifié et Luka guide Jean-Paul qui va se placer une quinzaine de mètres en amont. Il allonge progressivement les lancers, toujours en déposant sa mouche proche de la berge d’en face, pour effectuer un arc de cercle et passer juste devant les prédateurs. Au troisième passage, la distance est bonne et Luka dit à Jean-Paul de se tenir prêt. Depuis la rive, nous voyons parfaitement le grand tube fly blanc évoluer dans l’eau limpide. Alors que l’artificielle accélère, entraînée par la soie, le plus gros des deux poissons part derrière. Le huchon se colle au streamer. Nous avons une sacrée montée d’adrénaline et j’attends l’attaque à tout moment. Il va suivre sur plusieurs mètres, avant de disparaître dans son trou… Nous ne baissons pas les bras et essayons ensuite sous un barrage. Luka guide Jean-Paul dans le pool qui se forme en aval de l’ouvrage. Il me dit que je peux essayer de passer sur le mur et faire quelques lancers dans la chute. Je crapahute pour me retrouver juste au-dessus du déversoir principal. Une grosse baignoire profonde se forme ici. Je lance donc à quelques mètres de moi et laisse couler ma mouche dans l’eau blanche. Je suis en surplomb et baisse ma canne au maximum pour résorber le ventre dans la soie. Je sens mon streamer travailler et le laisse être porté par le courant quelques secondes avant de l’animer. J’arrive alors juste sous la chute mon tandem apparaît en surface et, tout d’un coup, un gros huchon à la queue rouge surgit entièrement hors de l’eau pour avaler ma mouche ! Je suis surpris mais ferre comme je peux et le tiens une seconde avant qu’il ne se décroche ! J’ai toujours la vision de ce poisson à la caudale rougeoyante faisant une véritable chandelle juste sous ma canne… J’avoue avoir contracté le virus de cette pêche et je rêve des plus gros poissons que j’ai vus, tenus, ou perdus… J’espère reprendre ma quête hivernale dès cette année, avec un peu plus d’expérience mais toujours beaucoup d’humilité par rapport au seigneur des rivières slovènes.
Renseignements
Office de tourisme de Slovénie : www.slovenia.info/fr
Institut de la pêche de Slovénie : www.zzrs.si/en/
Guides professionels :
Luka Lukman : luka.lukman@gmail.com
Matej Gartnar : fauna@faunabled.com, info@fly-fishing-slovenia.si
Mirko Skafar : info@skafarsflyfishing.com