Malgré sa mauvaise réputation et le désamour affiché par nombre de pêcheurs, la truite arc-en-ciel est paradoxalement massivement utilisée par les gestionnaires, qu’ils soient publics ou privés. Elle fait par exemple la joie de nombreux pêcheurs occasionnels dans une multitude de « pêcheries », ces plans d’eau régulièrement empoissonnés en truites portions, où elle n’est jamais très difficile à capturer, même avec une technique assez rudimentaire. Elle joue le même rôle à l’occasion de « l’ouverture », lorsqu’elle est introduite dans bon nombre de plans d’eau et secteurs de rivière. Elle est alors un symbole de la pêche « populaire » : pas difficile à prendre, donc accessible au plus grand nombre et capable de rassembler pas mal de pêcheurs dans un espace-temps donné. C’est sans doute de là que lui vient sa mauvaise réputation et cette image de poisson facile pour débutants, voire pour « viandards ».
Elle apprend vite
Pourtant, à côté de cela, elle est aussi recherchée et prisée par des pêcheurs accomplis, passionnés et très techniques, que l’on peut même qualifier de « sportifs », dans toute l’acception que revêt ce terme dans notre microcosme. C’est notamment le cas dans les « réservoirs mouche » ou les plans d’eau « area », deux types de parcours basés sur l’introduction d’arc-en-ciel de pisciculture, souvent de belle taille. Mais ici, la finalité est différente et on y relâche généralement ses truites. Elles peuvent donc s’éduquer et ont le temps d’apprendre à se méfier des pêcheurs qu’elles n’avaient jamais côtoyés jusque-là. De sorte que la pêche y devient rapidement moins facile, voire très technique. Des compétitions y sont même organisées, regroupant des spécialistes reconnus.
Un franc succès
Dans bon nombre de destinations halieutiques européennes enfin, certains secteurs de rivière, souvent gérés en no-kill, font aussi l’objet d’introductions de truites arc-en-ciel de belles tailles. C’est par exemple le cas de l’Autriche ou de la Slovénie. Ces parcours sont très prisés de nombreux pêcheurs, qui ne manquent jamais à leur retour de dire que ces truites y sont sauvages, ou au moins une partie... Plaisir honteux, toujours. Depuis quelques années, certains parcours français sont gérés de la même manière : classés en no-kill, ils sont régulièrement empoissonnés en arc-en-ciel de belle taille. Et ils jouissent d’un succès certains, particulièrement en hiver lorsque la 1re catégorie est fermée, période pendant laquelle ils sont parfois surfréquentés. Là encore, on y retrouve essentiellement des pêcheurs techniques et « sportifs ».
Une espèce mieux adaptée aux eaux chaudes ?
Parce qu’elle résiste mieux à des températures un peu plus élevées que la fario en pisciculture, on a longtemps cru que l’arc-en-ciel pouvait s’adapter aux secteurs de rivières qui se réchauffaient et où la fario régressait. Les introductions d’alevins y ont pourtant rarement été des succès. Et d’une manière générale, les alevinages en arc-en-ciel se soldent par des échecs, hormis dans les lacs d’altitude aux eaux fraîches.
Meilleure qualité
Pêcheurs débutants ou répondant aux critères des « viandards » d’un côté, des pêcheurs « sportifs » de l’autre dont certains pourraient volontiers porter des plumes sur leur chapeau. Mais aussi des compétiteurs talentueux et reconnus, véritables porte-drapeaux de leur discipline, dans tous ces exemples, il s’agit pourtant des mêmes truites arc-en-ciel : de « vulgaires » arcs de pisciculture. À peu de chose près cependant, car dans bon nombre de parcours no-kill, elles sont souvent bien formées, avec de vraies nageoires. Les apparences sont soignées et les pêcheurs y sont sensibles. Une façon d’éloigner la truite de son origine sans doute.
À l'état naturel
À côté de ces exemples de pêches totalement artificialisées, certains ont eu l’occasion de pêcher des truites arc-en-ciel qui n’avaient pas passé l’essentiel de leur vie en pisciculture. C’est notamment le cas de certains lacs de montagne où des spécimens sont parfois introduits au stade alevin et produisent alors des truites « ensauvagées », souvent très belles et dont la capture est très appréciée des pêcheurs. Sans oublier ceux qui ont eu la chance de pêcher des arcs-en-ciel sauvages à l’étranger, en Amérique du Nord ou dans certaines destinations de l’hémisphère Sud où cette espèce s’est naturalisée depuis la fin du 19e siècle (Patagonie ou Nouvelle-Zélande par exemple). Rares sont ceux qui ne louent pas sa combativité et qui n’en parlent pas avec des yeux qui brillent et en disent long sur le plaisir qu’elle leur a procuré.
Gestion adaptée
Malgré cela, elle ne parvient pas à se départir de cette image négative qui lui colle aux écailles et suscite beaucoup de postures de rejet. Sans oublier certains propos quant à sa prétendue prédation sur les autres truites, pure idée reçue. Conséquence : cette mauvaise réputation est un frein à certaines utilisations par les gestionnaires. Elle empêche par exemple la valorisation par ces truites de certains parcours dans un objectif halieutique. C’est notamment le cas de nombreux secteurs de fin de 1re catégorie, où les farios sont aujourd’hui bien rares à cause du réchauffement et des dégradations d’habitat, et où l’arc-en-ciel pourrait avoir sa place et offrir une pêche intéressante en couplant une gestion adaptée et des truites de belles tailles. C’est aussi le cas de certains lacs de montagne, en particulier les grands barrages, où la truite arc-en-ciel introduite au stade alevin peut être un excellent complément à la fario en exploitant mieux les zones pélagiques.
Poisson d'avenir ?
L’arc-en-ciel est au final un bon révélateur des contradictions (conscientes ou non) et postures qui traversent notre microcosme. Ce paradoxe tient sans doute au fait qu’elle symbolise la « truite de bassine » et tout ce que cela sous-tend : la facilité de capture qui la rend peu gratifiante, l’artificialisation de notre loisir et la perte de sens que cela implique. Mais comme l’ont illustré les exemples précédents, l’arc-en-ciel est au final ce qu’on décide qu’elle est. Elle peut être un poisson facile, qui fera plaisir aux débutants ou permettra à certains de pêcher en toute simplicité et sans se casser la tête. Tout comme elle peut devenir une truite éduquée et difficile à prendre, dont la capture récompense alors une vraie technicité. Mais attention, pas de méprise : je ne fais pas un plaidoyer pour l’arc-en-ciel. Simplement un appel à un peu plus d’honnêteté et de maturité, pour enfin voir cette truite pour ce qu’elle est, sans dédain ni faux semblant. Cela permettrait peut-être de réfléchir plus sereinement aux possibilités qu’elle offre, notamment dans des secteurs aujourd’hui désertés par les pêcheurs car dépeuplés en fario.
Pourquoi ne s’est-elle jamais acclimatée ?
Comme tous les membres du genre Oncorhynchus auquel elle appartient avec les saumons du Pacifique, la truite arc-en-ciel est originaire de la côte ouest de l’Amérique du Nord. Elle est arrivée en Europe à la fin du 19e siècle, à l’occasion du grand mouvement des introductions d’espèces qui traversa le continent à cette époque. Après plus d’un siècle d’introductions, force est de constater qu’elle ne s’est pas acclimatée à nos eaux. Bien sûr, il y a quelques cas de naturalisation ici ou là, comme le lac des Bouillouses ou le vallon d’Estibère dans les Pyrénées par exemple. Mais cela ne concerne chaque fois que de petites populations très localisées. La vulnérabilité à la pêche de l’arc-en-ciel est sans doute l’explication de cette situation. Maurice Vouga ne s’était pas trompé. Cet « Inspecteur général de la pêche » avait en effet tenté et réussit une acclimatation de truites arc-en-ciel dans le Haut-Rhône en Suisse, avec reproduction à la clé à partir de 1932. Il insistait dans ses comptes rendus sur la nécessité de protéger les truites de la pêche pour la réussite de l’opération. De nos jours, les souches de truites arc-en-ciel élevées en pisciculture sont le fruit de nombreuses sélections pour être toujours plus adaptées aux conditions d’élevage… et donc de moins en moins aux conditions naturelles.